En août 2023, en réaction à l'adoption de la Loi canadienne sur les nouvelles en ligne (loi C-18), Meta a décidé de bloquer l'accès aux contenus d'actualités sur Facebook et Instagram pour les utilisateurs canadiens. Cette loi visait à obliger les grandes plateformes numériques à rémunérer les médias pour la diffusion de leurs contenus. La réponse de Meta a profondément bouleversé le paysage médiatique canadien, affectant particulièrement les médias indépendants qui dépendaient fortement de ces canaux pour atteindre leur audience.Le Monde.fr
Une perte brutale de visibilité
Le blocage des contenus d'actualités par Meta a eu un impact immédiat sur les médias canadiens. De nombreux éditeurs, notamment les plus petits et indépendants, ont vu leur trafic chuter drastiquement, entraînant une baisse significative de leurs revenus publicitaires et une fragilisation de leur modèle économique. Selon une étude de l'Observatoire de l'écosystème médiatique, certaines publications ont perdu jusqu'à 90 % de leur engagement sur Facebook.
Des stratégies de résilience innovantes
Face à cette crise, plusieurs médias indépendants ont développé des stratégies pour maintenir le lien avec leur audience :
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The Rover, média d'investigation basé à Montréal, a lancé un nouveau compte Instagram, therover.community, axé sur des vidéos en face caméra, des coulisses du métier et des interactions directes avec les lecteurs, tout en évitant de partager directement des actualités pour contourner les restrictions de Meta.
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The Tyee, média basé en Colombie-Britannique, s'est appuyé sur une base solide d'abonnés à sa newsletter, construite patiemment depuis plus de vingt ans, pour maintenir et même augmenter son audience malgré le bannissement.
La collaboration comme réponse collective
En réponse au bannissement, une coalition de 25 médias indépendants a créé Unrigged.ca, une plateforme agrégatrice de contenus (articles, podcasts, newsletters) mise à jour en continu, offrant une alternative aux algorithmes des grandes plateformes. Ce projet, soutenu par des subventions et des incubateurs universitaires, vise à renforcer la souveraineté numérique des médias participants et à encourager la collaboration entre eux.
Des conséquences inégales selon les médias
Si certains médias ont réussi à s'adapter, d'autres, notamment ceux desservant des communautés autochtones ou rurales, ont été plus durement touchés. Par exemple, IndigiNews, qui tirait 40 % de son trafic de Facebook, a dû explorer des alternatives telles que l'affichage de QR codes dans des espaces publics pour rediriger vers leurs contenus. Cependant, ces solutions restent limitées face à la perte d'un canal de communication majeur.
Vers une redéfinition des relations avec les plateformes
Cette crise a poussé les médias indépendants canadiens à reconsidérer leur dépendance aux grandes plateformes numériques. En développant des canaux de communication directs, en renforçant leur ancrage local et en collaborant entre eux, ces médias cherchent à construire un modèle plus résilient et autonome. Toutefois, la situation reste précaire, et l'avenir de nombreux médias dépendra de leur capacité à s'adapter à ce nouvel environnement numérique.
Un appauvrissement du débat public
Au-delà des conséquences économiques, la décision de Meta a contribué à un appauvrissement du débat démocratique. En rendant les contenus journalistiques invisibles sur deux des plateformes les plus utilisées au pays, Meta a réduit l’accès spontané à une pluralité de points de vue. Les réseaux sociaux, malgré leurs travers, jouaient un rôle non négligeable dans la découverte accidentelle de sources d'information diverses, y compris des médias communautaires, autochtones, féministes, queer, ou encore spécialisés sur des enjeux environnementaux ou sociaux. Désormais, sans relais algorithmique, ces voix peinent à émerger.
Eden Fineday, d’IndigiNews, déplore : « C’est un recul pour la diversité médiatique. Les voix autochtones et marginalisées sont souvent les premières sacrifiées lorsque l’écosystème médiatique est en crise. » La dépendance à Facebook, bien que critiquable, permettait à ces médias de toucher des audiences au-delà de leur base fidèle, en particulier dans les territoires isolés ou moins bien desservis par les médias traditionnels.
Le risque aujourd’hui ? Un repli sur quelques sources dominantes, au détriment d’une information multiple, incarnée, ancrée dans les réalités locales. « Si vous n’avez pas déjà une communauté solide, un budget newsletter et un capital de notoriété, c’est très compliqué de vous faire une place aujourd’hui », confirme Savannah Stewart. Le bannissement agit donc comme un filtre : seules les rédactions déjà établies, avec des ressources en main, parviennent à surnager — laissant moins d’espace aux nouveaux récits, aux voix dissidentes, et à l’expérimentation éditoriale.
Une crise révélatrice des enjeux démocratiques
La décision de Meta a mis en lumière les tensions entre les plateformes numériques et les institutions démocratiques. En période de crise, comme lors des incendies de forêt de 2023, l'absence d'informations fiables sur les réseaux sociaux a été critiquée par les autorités canadiennes, qui ont qualifié le comportement de Meta de "dangereux et imprudent.
Auteur
Mayeul BERETTA
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