Le 18 avril 1951, six pays européens signaient à Paris un traité qui allait jeter les bases de ce que nous appelons aujourd’hui l’Union européenne. 74 ans plus tard, le Traité de Paris, fondateur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), continue de symboliser une idée audacieuse : unir des nations autrefois rivales pour construire une paix durable à travers l’économie.
À l’occasion de cet anniversaire, la presse européenne se penche sur cet héritage, ses réussites et ses zones d’ombre. Que nous disent les éditoriaux et les analyses de la presse en France, en Allemagne, en Italie et ailleurs sur cette « aventure européenne » ?
Une mémoire vive en France : l’héritage de Monnet et Schuman
Dans Le Monde et La Croix, les articles publiés cette semaine insistent sur le rôle pionnier de la France. Jean Monnet et Robert Schuman y sont célébrés comme les visionnaires d’un projet pacificateur. Le quotidien Libération évoque quant à lui un « projet devenu machine technocratique », appelant à une relégitimation démocratique de l’Europe.
Mais une tonalité commune domine : le traité de Paris, c’est le moment où « l’Europe a commencé à parler une langue commune », celle de la solidarité économique. Une leçon à méditer à l’heure où les divisions ressurgissent face aux grands défis contemporains (guerre en Ukraine, crise énergétique, migrations…).
En Allemagne : la reconnaissance d’un tournant historique
Du côté allemand, la presse — notamment Die Zeit et Frankfurter Allgemeine Zeitung — revient sur l’importance de la CECA pour l’Allemagne de l’après-guerre. Le Traité est vu comme le point de départ d’une réintégration diplomatique et économique après la Seconde Guerre mondiale.
Les éditorialistes soulignent aussi la vision commune franco-allemande, réaffirmée récemment lors des commémorations officielles. Un article de Süddeutsche Zeitung évoque une « Europe à réancrer dans les cœurs », appelant les jeunes générations à se réapproprier cet héritage.
En Italie et au Bénélux : entre fierté et vigilance
En Belgique, où les institutions européennes sont installées, Le Soir célèbre une Europe « née du charbon et de l’acier, confrontée aujourd’hui au numérique et au climat ». En Italie, La Repubblica insiste sur l’actualité du message fondateur : « L’Europe a besoin d’un nouvel acte fondateur, aussi courageux que celui de 1951. »
Le souvenir du traité est également l’occasion pour plusieurs journaux de dénoncer les dérives technocratiques, les blocages institutionnels, et la montée des nationalismes. Mais l’esprit du Traité est souvent convoqué comme antidote à ces tendances : coopération, dialogue, interdépendance.
74 ans après : un modèle à repenser ou à défendre ?
Ce 74e anniversaire est moins marqué par des célébrations grandioses que par des réflexions critiques. L'Europe est à un tournant : l'élargissement vers l'Est, la transition écologique, la souveraineté numérique et les tensions géopolitiques exigent une nouvelle dynamique.
Et pourtant, comme le note Politico Europe, « l’Europe reste l’un des projets politiques les plus ambitieux et pacifiques de l’histoire contemporaine. » Le traité de Paris, malgré son ancienneté, continue d’éclairer le chemin.
Une Europe plus inclusive ? Pluralité et droits des personnes en situation de handicap
Au-delà des enjeux économiques et géopolitiques, l’aventure européenne initiée en 1951 a aussi ouvert la voie à une transformation sociétale en profondeur. L’idéal européen s’est progressivement élargi à des valeurs de diversité, d’égalité et de non-discrimination, même si ce chantier reste inachevé.
La pluralité culturelle : un principe fondateur
Depuis la CECA jusqu’à l’Union actuelle, l’Europe a su faire cohabiter une mosaïque de langues, de cultures, de traditions religieuses et philosophiques. Cette pluralité, loin d’être un obstacle, a été pensée comme une richesse. Le Traité de Maastricht (1992) puis la Charte des droits fondamentaux de l’UE (2000) ont renforcé cette idée.
Mais cette diversité suppose aussi un engagement constant pour l’inclusion de toutes les identités, notamment face à la montée des extrêmes et aux replis identitaires. L’anniversaire du Traité de Paris est donc un moment opportun pour se rappeler que l’Europe se veut un espace de cohabitation, de dialogue et de respect mutuel.
Un progrès réel mais inégal pour les personnes en situation de handicap
L’Union européenne a également été un moteur dans la reconnaissance des droits des personnes handicapées. Si ces questions étaient absentes du traité de 1951, elles ont depuis pris une place croissante dans les politiques européennes.
- En 2010, l'UE a adopté une Stratégie européenne en faveur des personnes handicapées, visant à garantir l'accès à l'éducation, à l'emploi, à la mobilité et à la participation à la vie politique.
- En 2021, la Stratégie 2021-2030 a réaffirmé cet engagement en insistant sur l’accessibilité universelle, l’autonomie et la lutte contre les discriminations.
Cependant, comme le rappelle un article du Guardian (UK) cette semaine, « les écarts entre les pays membres restent frappants ». Les obstacles matériels, numériques, et sociaux persistent. La réalité quotidienne des personnes handicapées est encore marquée par des exclusions : accès limité aux infrastructures, manque de soutien à l’emploi, et représentation politique quasi inexistante.
Une Europe plus juste à construire
L’esprit du Traité de Paris peut inspirer de nouvelles avancées. Tout comme on a su construire une paix durable entre nations jadis ennemies, peut-on imaginer une Europe pleinement accessible et équitable pour toutes et tous ?
L’anniversaire du traité n’est pas seulement un temps de commémoration. Il peut devenir un moment de réflexion collective sur l’Europe que nous voulons bâtir : une Europe plurielle, juste, inclusive, où chaque citoyen – quel que soit son handicap, son origine ou sa langue – trouve pleinement sa place.
Auteur
Mayeul BERETTA
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