– Cent jours après son retour triomphal à la Maison-Blanche, Donald Trump a engagé une campagne systématique et fulgurante contre les politiques de diversité, équité et inclusion (DEI) aux États-Unis. Dans un contexte de polarisation extrême, l’exécutif a orchestré une remise en question profonde des fondements même de l’action publique américaine en matière de lutte contre les discriminations raciales, de genre ou de handicap.
Ce virage idéologique, que d’aucuns qualifient de “contre-révolution culturelle”, se manifeste par une série de décrets exécutifs, des sanctions administratives ciblées, et un langage politique radicalement opposé à l’héritage de l’ère Obama-Biden. Objectif affiché : restaurer une "méritocratie pure", débarrassée selon l'administration Trump des “favoritismes identitaires”. En réalité, cette vision redessine l’État fédéral et les rapports sociaux sur des bases profondément conservatrices, suscitant autant d'adhésion que de rejet.
📜 Une offensive législative et symbolique : la guerre contre les “préférences raciales”
Dès le 20 janvier 2025, Donald Trump a signé deux décrets emblématiques :
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Executive Order 14151 : "Ending Radical and Wasteful Government DEI Programs and Preferences", qui dissout l’ensemble des départements DEI au sein des agences fédérales et interdit tout financement de programmes visant la diversité.
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Executive Order 14173 : "Ending Illegal Discrimination and Restoring Merit-Based Opportunity", qui abroge l’historique Executive Order 11246 de 1965, privant ainsi les contractants fédéraux de toute obligation en matière d’égalité des chances.
Ce cadre législatif vise à inverser des décennies de politiques anti-discriminatoires, au nom d’un retour à un idéal de neutralité formelle. Selon le président, "la discrimination positive est une discrimination comme une autre". Mais pour ses détracteurs, cette approche efface des inégalités structurelles toujours bien présentes.
🏫 Éducation : bras de fer entre État fédéral et établissements d’enseignement
Le système éducatif américain est l’un des premiers champs de bataille de cette croisade idéologique. Le Department of Education, désormais dirigé par un proche du mouvement conservateur "Moms for Liberty", a engagé une politique de rétorsion financière contre les écoles et universités refusant d’abandonner leurs programmes DEI.
L’Université Harvard, qui a maintenu son bureau DEI malgré les menaces fédérales, a vu 2,3 milliards de dollars de subventions gelés. Des audits "idéologiques" ont été imposés à d'autres universités comme UCLA et NYU, destinés à évaluer la “neutralité politique” des cursus. Pour les partisans de ces mesures, il s'agit de “désidéologiser” l’enseignement supérieur ; pour les opposants, on assiste à une chasse aux sorcières ciblant la liberté académique.
🏢 Secteur privé : la DEI devient un tabou corporate
Du côté des entreprises, la réaction oscille entre retrait stratégique et contournement discret. Des géants comme Walmart, Meta ou Lowe's ont annoncé la fermeture de leurs départements DEI ou la révision de leurs politiques internes, sous la pression directe de l’administration et d’une opinion publique polarisée.
Néanmoins, des initiatives de diversité persistent, mais désormais clandestines ou reformulées : la terminologie change, les objectifs demeurent. Des recruteurs parlent désormais de “compétences globales” ou de “perspectives variées” pour contourner les restrictions imposées.
🌍 Diplomatie et soft power : le désengagement des droits humains
Sur la scène internationale, Trump 2.0 imprime également sa marque. Plusieurs documents internes du Department of State évoquent une réduction drastique des budgets alloués aux programmes de droits humains, à l'accueil des réfugiés, et à l’égalité des genres. Les ambassades américaines en Afrique subsaharienne, notamment celles de Bamako, Ouagadougou et Kinshasa, seraient en voie de fermeture, dans une logique de “réallocation stratégique des ressources”.
Cette redéfinition du soft power américain traduit une priorité donnée à la realpolitik, au détriment de la diplomatie des valeurs qui avait marqué les précédentes administrations démocrates. Officiellement, ces coupes budgétaires sont justifiées par la lutte contre le "gaspillage idéologique".
🧑🦽 Et les personnes en situation de handicap ?
Un aspect souvent moins médiatisé de cette offensive concerne les politiques liées au handicap. Plusieurs programmes fédéraux visant l'inclusion professionnelle des personnes handicapées ont été supprimés ou transférés à des agences locales, sans garantie de suivi.
Le Job Accommodation Network (JAN), une référence en matière de conseil pour l’emploi des personnes handicapées, a vu son budget réduit de moitié. Par ailleurs, la suppression des obligations DEI pour les employeurs fédéraux compromet l'application de certains volets de l’Americans with Disabilities Act, notamment en matière de recrutement.
📣 Résistance : une société civile sous tension
Cette contre-offensive conservatrice a provoqué une mobilisation multiforme. Manifestations à Washington, recours judiciaires coordonnés par l’ACLU, appels à la désobéissance de plusieurs universités d’élite… La résistance s’organise.
Un nouveau front émerge autour des tribunaux fédéraux, où plusieurs procès sont en cours pour contester la légalité des décrets Trump. La bataille judiciaire s’annonce longue, dans un paysage judiciaire dominé par une Cour suprême très conservatrice.
🧭 Analyse : vers un changement de paradigme durable ?
L’administration Trump, dans sa deuxième incarnation, ne se contente pas de gouverner. Elle cherche à refonder l’architecture même de l’État et sa relation aux citoyens. En remettant en cause le principe même de l’action corrective de l’État, Trump 2.0 impose une doctrine post-DEI, fondée sur une vision individualiste et concurrentielle de la société.
Si ce tournant séduit une part importante de l’électorat blanc conservateur, il risque aussi de fragmenter durablement le tissu social américain, en accentuant les lignes de fracture raciales, sociales et générationnelles.
À cent jours de mandat, le message est clair : Trump ne se contente plus de combattre le "wokisme" – il veut l’éradiquer.
Auteur
Mayeul BERETTA
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