FAUT-IL PROTÉGER LA LANGUE FRANÇAISE À TOUT PRIX ? UNE PHOTOGRAPHIE DES PERCEPTIONS FRANÇAISES EN 2024À l’heure où les slogans publicitaires arborent fièrement des anglicismes et où les réunions professionnelles se déroulent souvent à coups de « pitchs » et de « team buildings », une question persiste : la langue française est-elle en danger ? À l’occasion des 30 ans de la loi Toubon, le ministère de la Culture a commandé une enquête à Toluna-Harris Interactive pour comprendre comment les Français perçoivent l’évolution de leur langue dans un contexte de mondialisation. Les résultats sont à la fois révélateurs et clivants.
Une langue admirée, mais jugée menacée
Premier constat : les Français aiment leur langue. Elle est perçue comme belle (94 %), riche, poétique — mais aussi compliquée (89 %) et en constante évolution (81 %). Ce paradoxe entre attachement culturel et difficultés d’usage alimente un sentiment diffus de menace : 55 % considèrent que le français est aujourd’hui en danger.
Ce sentiment varie selon l’âge. Si 97 % des plus de 65 ans la trouvent belle, ce chiffre tombe à 86 % chez les 18-24 ans. Ces derniers sont aussi moins nombreux à juger la langue menacée (40 % contre 64 % chez les plus de 65 ans), reflet possible d’un rapport plus détendu, voire plus fluide, à la langue et à son évolution.
L’omniprésence de l’anglais dans l’espace public
La quasi-totalité des Français (90 %) constate la présence fréquente de mots ou expressions en anglais dans l’espace public, que ce soit dans les publicités, les médias ou les slogans institutionnels. Cette tendance est perçue comme croissante par 83 % des sondés.
Mais cette évolution divise : 38 % des Français la jugent négative, contre 25 % qui y voient une bonne chose. Le clivage générationnel et culturel est net. Les plus jeunes, plus à l’aise en anglais, l’acceptent mieux. Les plus âgés, eux, dénoncent un risque d’appauvrissement culturel et une perte de lisibilité.
L’anglais au travail : outil ou obstacle ?
Dans le monde professionnel, l’usage de l’anglais est courant pour plus de la moitié des actifs. Mais là encore, l’aisance personnelle conditionne fortement la perception. 50 % des actifs se disent gênés lorsqu’ils doivent utiliser l’anglais. Chez ceux qui ne se sentent pas à l’aise avec cette langue, cette gêne monte à 84 %.
Le jargon anglo-saxon est également omniprésent : 71 % des actifs disent entendre ou employer régulièrement des expressions comme « feedback », « benchmark » ou « call ». Si 62 % jugent que cela n’a pas d’impact négatif sur leur travail, 37 % estiment que cela nuit à la clarté des échanges.
Les services publics et l'anglicisation : une ligne rouge
Quand l’anglais s’invite dans la communication des services publics, le ton change. 68 % des Français se déclarent agacés ou gênés. Le rejet est encore plus fort chez les plus de 50 ans. Pour 89 % des sondés, il est indispensable que les services publics s’adressent en français — un impératif républicain, mais aussi pratique, dans une société multigénérationnelle.
La loi Toubon : un outil connu mais sous-utilisé ?
La loi Toubon, qui fête ses 30 ans, reste connue de la moitié des Français. 9 sur 10 la jugent encore indispensable pour garantir l’accès équitable à l’information et préserver la cohésion sociale. Cependant, son efficacité est jugée inégale selon les domaines : si elle semble fonctionner dans les administrations et l’enseignement, sa portée semble limitée dans la publicité (seulement 46 % la jugent efficace dans ce domaine).
Faut-il alors la renforcer ? 63 % des Français répondent oui, surtout parmi les plus âgés. À l’inverse, une part significative des jeunes (32 % des 18-24 ans) estime qu’il faudrait au contraire l’assouplir.
Auteur
Mayeul BERETTA
Écrire commentaire